MANEL SANTISO, L’OEIL ET LA PROIE

Avec un sens affûté de la composition, le photographe Manel Santiso place l’humain et la beauté de l’instantané au centre de son objectif.

Certaines photos marquent durement l’Histoire. Et, plus durement encore, les esprits.
Comme celle de Jeff Widener, qui immortalise en 1989 la bravoure d’un étudiant chinois défiant les tanks de l’armée sur la place Tian’anmen.
Celle aussi de Kevin Carter en 1993, qui place le monde face à l’agonie d’un nourrisson soudanais sous-alimenté, sous les yeux des vautours.
Ou celle, plus récente, de la photographe Nilufer Dumir, qui fige à jamais la dépouille du petit Aylan Kurdi, échoué sur une plage turque après avoir fui la guerre dans son pays.

A seulement 22ans, Manel Santiso inscrit lui aussi son travail au cœur de l’action, au plus près des évènements qu’il saisit avec une précision microchirurgicale.

© Manel Santiso

L’année 2019 marque  la rencontre entre le jeune suisse et un Canon 750D. Son premier terrain de chasse : l’évènementiel.

« Je suis un vrai fan de musique et à l’époque, j’avais obtenu une accréditation pour couvrir un festival à Genève. C’est là que j’ai vraiment compris que ce que j’aime, c’est l’action », se souvient-il, amusé.

A mi chemin entre le journalisme et la création artistique, ses clichés offrent une vision crue, sans filtre, de notre réalité. Aussi brutale soit-elle. Comme quand il se rend à Paris en 2020 pour fixer la colère des gilets jaunes dans son Canon R6. Puis l’année suivante, quand il immortalise de nouveau l’ébullition de la Capitale lors des manifestations contre les restrictions sanitaires.

Dans chacun des clichés, l’émotion des manifestants devient viscérale ; la rage, le cran, la détermination des uns…

© Manel Santiso

L’angoisse, la résignation, le désarroi des autres…

© Manel Santiso

Mais c’est surtout son époustouflant travail lors d’un séjour au Mexique en 2021 qui confirmera l’avenir tout tracé de Manel Santiso dans la photographie documentaire.

Pour commencer, il suit le quotidien des Patronas, ces héroïnes de l’ombre qui lancent des sacs de provisions à des migrants perchés sur des trains lancés à pleine vitesse. Aidé de journalistes locaux, il sillonne ensuite les rues de Tijuana pour saisir la réalité froide et implacable d’une des villes les plus dangereuses du monde.

Là encore, ses clichés sont criants d’humanité et rendent compte avec précision de la tension, insoutenable parfois, qui règne dans certains quartiers chauds. Ceux où la mort guette à chaque carrefour.

© Manel Santiso

Capable lui aussi de traquer le réel pour le plaquer en une fraction de secondes sur une image haute résolution, Manel Santiso suit les traces de ses ainés. Avec ce même œil perçant, ces mêmes sens en alerte, cette même fébrilité du prédateur prêt à saisir, au parfait instant, toute l’intensité d’un moment historique.

Indiscutablement, un chasseur est né.